CAROLINE GRAVIERE
Caroline Gravière, 1821 – 1878
Elle écrit en cachette et rêve de vivre de sa plume. Elle étudie la peinture et fréquente l’atelier de Joseph Paelinck. A 19 ans, elle se sent assez forte pour se défendre, quoi qu’il puisse lui en coûter. « Qu’elles tremblent en me voyant tant de puissance pour porter ma couronne » écrit-elle à propos de sa mère et de sa tante qui tentent de lui imposer le respect des usages, qui l’exaspèrent.
Née en 1821, Estelle Crèvecoeur – c’est son vrai nom- est fille de notaire. Sa famille ne semble pas se préoccuper de son éducation. Sous l’œil désapprobateur des femmes de la famille, elle puise dans la bibliothèque paternelle de quoi étancher sa soif de culture.
La musique et la peinture faisaient déjà partie du bagage obligatoire des jeunes filles de bonne famille. Le climat favorable à l’émancipation des femmes suscite l’éclosion d’une génération d’écrivaines dont la plupart ont recours au secret qu’offre le pseudonyme. Le monde littéraire leur est ouvert. Sans doute parce qu’être écrivain en Belgique n’est pas très valorisant….. Les débouchés sont inexistants. Entre écrivains, on se serre les coudes, le journalisme pallie au manque de revenus et donne une légitimité littéraire à celui ou celle qui le pratique.
Caroline Gravière occupe une place à part dans le monde littéraire belge, comme Caroline Popp. Ses engagements et son talent la placent parmi les auteurs contemporains d’avant-garde. Elle écrit depuis son adolescence, mais c’est en 1864 que parait son premier ouvrage.
En 1848, Caroline épouse Charles Ruelens, cartographe, passionné de géographie, directeur de la bibliothèque royale. Elle a 27 ans, elle a voyagé en Italie, en Suisse et en Allemagne. C’est une femme indépendante qui partage avec son mari les convictions laïques et sociales propres aux libéraux progressistes. Ils auront six enfants.
La trame de l’œuvre de Caroline Gravière se nourrit de la défense de la libre pensée contre les préjugés. Elle se situe à la charnière entre le naturalisme et la veine réaliste. Féministe, elle dénonce dans ses romans l’enfermement des femmes, la toute-puissance du mari : « -La loi t’oblige à me protéger ! -Puis-je prendre le même ton pour te rappeler que le code prescrit l’obéissance ? » Elle campe des personnages féminins dans un environnement hostile et décrit les limites de la tolérance sociale et ses conséquences ; dans Un paradoxe, Elise, qui veut devenir peintre, devra se cacher sous un déguisement masculin, se réfugier à Paris et l’homme qu’elle aime la rejettera à cause de son statut d’artiste.
Caroline conforte les idéaux du milieu progressiste dont elle fait partie : une jeune femme de la noblesse peut très bien devenir l’épouse d’un brasseur et travailler à ses côtés. Aux valeurs de la noblesse, elle préfère celles du travail et de la connaissance. A la chasse au mari, qui permet d’accéder à la sécurité ou au statut supérieur, elle oppose la volonté d’apprendre un métier : « Mère, permettez-moi d’apprendre autre chose que de paraître riche et belle. Laissez- moi entrer à l’institution Gatti ou dans l’une ou l’autre école normale, afin d’acquérir de l’instruction, à moins que vous ne préfériez me faire apprendre parfaitement la musique ou le dessin des dentelles ».dit Blondine Van Zee dans Une parisienne à Bruxelles. Caroline raconte le monde cruel des petits bourgeois et la réprobation sociale qui poursuit celles qui sortent du rang. Comme sa contemporaine Virginie Loveling, alias WGE Walter, elle juge sévèrement l’Eglise et considère que l’émancipation des femmes passe par l’affranchissement par rapport à la religion.
Elle meurt en 1878 des suites d’un cancer.
